Colin Delfosse / Fulu-Act
Ce portrait de Pape Noir, performeur congolais, est présenté à quelques encablures des Halles de Schaerbeek, rue Royale à Bruxelles, sur les palissades blanches de Bozar. J’ai posé quelques questions à Colin Delfosse, auteur de la série Fulu-Act dont cette image est extraite. Colin est photographe freelance et actif en République Démocratique du Congo (RDC) depuis 15 ans. Son objectif est de produire des récits photographiques alternatifs sur ce pays, en collaborant avec des artistes locaux.
Colin, tu n’en es pas à ton premier reportage photo en Afrique. D’où vient ce tropisme africain et surtout, congolais ?
J’ai entamé ma carrière de photographe documentaire en Afrique de l’Ouest (au Mali) il y a une quinzaine d’années. Je m’intéressais alors à la question de l’orpaillage. En 2006, l’opportunité de suivre l’élection présidentielle congolaise s’est présentée. J’ai passé un mois à Kolwezi comme observateur. Je suis retourné au Katanga pour un premier sujet photo, sans me poser de questions. J’ai ensuite effectué plusieurs voyages au Katanga puis à Kinshasa. Il y a un biais dans la presse belge à ne s’intéresser qu’à l’actualité congolaise du continent. Celui-ci a donné une inflexion à ma trajectoire. Ensuite, j’ai été fasciné par ce pays. Cette fascination s’est muée en sujet de réflexion : j’ai accumulé les informations, les rencontres. Cela m’a apporté une connaissance plus ample du contexte et du pays. Travailler dans le temps long me parait essentiel si on veut dépasser les clichés.
Comment as-tu rencontré les deux collectifs de performeurs dont tu as fait le portrait : Ndaku Ya La Vie Est Belle et Farata ?
En 2012, je logeais à Kinshasa dans la résidence du collectif Eza Possibles, très actif sur la scène culturelle kinoise. J’avais également réalisé le portrait d’un performeur en 2016 (Michel Ekeba aka « Congo Astronaut »). Lorsque j’ai entendu parler du festival Kinact, je suis passé à leur résidence à Matonge. Le titre de ma série de portraits, Fulu-Act, est une référence à ce festival qui réunit chaque année les performeurs de Kinshasa.
Comment fonctionnent ces collectifs et sur quelles questions veulent-ils attirer l’attention ?
Les collectifs regroupent une variété d’artistes, dont une bonne partie gravite autour de l’académie des Beaux-Arts de Kinshasa. Le terme Fulu désigne un déchet, une poubelle en Lingala. Les artistes kinois utilisent essentiellement des matériaux recyclés pour leurs performances. L’explosion démographique de la ville de Kinshasa et les besoins croissant de la population ont amené à un changement radical des modes de consommation. Celui-ci a inévitablement eut des conséquences écologiques et sociales. Ces artistes dénoncent à leur manière ces problèmes de société comme le manque d’accès aux soins de santé et à l’électricité, la pollution, le déboisement ou la surconsommation. Les questions qu’ils traitent sont d’ordre écologique et politique.
Quelle est la réponse du public, des médias, des politiques à leurs performances ?
L’intention première des performeurs est de susciter une interrogation - le public kinois n’a pas l’habitude de ce type de représentation en rue. Cela crée inévitablement de vives réactions qui sont la base de la discussion avec les artistes. Concernant les médias congolais, je ne pense pas qu’ils soient très intéressés – mais je ne peux pas répondre à leur place. Concernant les médias français, il y a eu une série de publications après la sortie du film de Renaud Barret, Système K, qui traitait du sujet, puis lors de l’exposition Kinshasa Chronique dans laquelle figure quelques costumes de performeurs.
L’art actuel, en République Démocratique du Congo, est-il essentiellement créé et diffusé dans l’espace public ?
Il y a de très nombreux artistes en RDC et donc d’innombrables formes d’art. Kinshasa, capitale très peuplée et très dynamique, focalise l’attention sur l’art urbain, mais on ne peut pas réduire la production artistique du pays à cela. La scène musicale (urbaine ou non) occupe une place importante. La peinture est également bien représentée. La question centrale me paraît plutôt être celle de la diffusion des œuvres (dans le pays et à l’extérieur) et accessoirement l’accès au marché de l’art.
La série Fulu-Act, de Colin Delfosse, entre particulièrement en résonance avec la programmation des Halles de Schaerbeek où les artistes africains et afro-descendants, la danse et la performance occupent une place importante. Quelques pistes pour aller plus loin : Qudus Onikeku, Serge Kakuji, Pascal Konan, Mucyo Mu, et aussi Spitler, Joëlle Sambi et Lisette Lombé (Bruxelles Africapitale 2020).
Propos recueillis par Michel Reuss. Photographie : Colin Delfosse.