Ce portrait incandescent du chanteur de reggae Tiken Jah Fakoly illustre à merveille l’univers pictural de Mucyo MU (Burundi, 1980), artiste visuel franco-rwandais actuellement exposé aux Halles de Schaerbeek. Pour arriver à ce subtil équilibre entre réalisme et illusion, entre ordre et chaos, Mucyo (qui signifie lumière en kinyarwanda) procède par dépigmentation d’une toile de velours brun foncé au moyen d’une solution à base d'eau de Javel.
L’approche développée par l'artiste vient d’une erreur, d’un accident. Une simple tâche sur un vêtement qui lui révèle soudain le potentiel des paréidolies, ces illusions optiques qui font par exemple apparaître une forme humaine ou animale dans un simple nuage. Peindre à l’eau de Javel s’apparente un peu à la photographie, c’est une écriture de lumière. En brûlant l’étoffe, l’agent toxique et hostile transforme la matière en profondeur, y fait apparaître des zones de haute lumière comme sur un film surexposé. C’est aussi une forme de peinture inversée. Mucyo enlève de la couleur plutôt que d’en ajouter, et les corrections ou les retours en arrière ne sont pas possibles. Et puis, très sensible aux conditions de travail (température ambiante, perméabilité du tissus, concentration de la solution chlorée), le procédé ne peut être entièrement maîtrisé. Ses effets se prolongent d'ailleurs dans le temps, altérant sensiblement le contraste. Chaque portrait est donc une œuvre unique, en équilibre fragile entre le stable et l’instable, la précision et le hasard.
Présentée aux Halles de Schaerbeek jusqu’au 7 février, la série F.A.C.E.S. s’inscrit dans le prolongement de la première exposition bruxelloise de Mucyo Mu à la Wetsi Art Gallery (Anderlecht, septembre 2020). C’est une vaste galerie de portraits d’icônes des musiques noires qui fait écho à Great Black Music, l'expérience immersive signée Marc Benaïche. Nina Simone et Fela Kuti, Cesaria Evora et Manu Dibango, Miriam Makeba et Saul Williams,… F.A.C.E.S. rassemble les portraits de ces musiciens hors pairs et artistes engagés. Les œuvres, spécialement conçues pour l’exposition sur base d'un important travail de documentation et de recherche iconographique, nous interpellent dès le premier regard. Leur énergie est forte pour de fines toiles de velours oscillant doucement au moindre souffle. Elles sont comme suspendues entre passé et présent. Mobiles. Vivantes.
Michel Reuss