Les Halles de Schaerbeek
— Bruxelles —

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Corps - papier - cirque

par Laurence Kahn

 

Pierre-papier-ciseaux.

Ce jeu de mains aussi appelé Chifoumi, fut, à l’origine, comme le jeu de go et le Mahjong, inventé en Chine. Apparu au Japon au cours du XVIIe siècle, il arriva en Occident au XIXe siècle suite aux contacts avec l’Asie.[1] Le principe du jeu est simple. Deux joueurs se font face et choisissent simultanément un des trois coups suivant : la pierre (poing fermé), le papier (main à plat, paume dirigée vers le sol) et les ciseaux (index et majeur formant un V). La pierre bat les ciseaux en les émoussant, les ciseaux battent la feuille en la coupant et la feuille bat la pierre en l’enveloppant. Il existe des variantes qui introduisent d’autres symboles tel que le puits (que certains puristes désavouent).[2]

Qui est le plus fort : la pierre, le papier ou les ciseaux ? Et le plus fragile ? Ce qui nous paraît fragile l’est-il effectivement ? L’est-il de manière immuable ? Les règles du Chifoumi présentent chaque élément sous un jour tantôt fort, tantôt vulnérable. Oui, le papier peut être coupé par les ciseaux. Mais il peut aussi envelopper la pierre. Plus question d’une seule catégorie, d’une étiquette fixée une fois pour toutes. Tout dépend. Des circonstances. Du contexte. Du moment.

Et les fêlures ? Sont-elles par définition le contraire de la force et l’indice de la fragilité ? Un art ancestral japonais apparu au XVe siècle vise précisément à mettre en valeur les cicatrices. Appelé Kintsugi (qui signifie littéralement « jointure en or »), il consiste à réparer des porcelaines ou céramiques cassées au moyen d’une laque saupoudrée de poudre d’or. Cette réparation souligne les brisures au lieu de chercher à les cacher et donne ainsi aux objets une nouvelle vie, une beauté unique et une résistance exceptionnelle.[3]

L’art du Kintsugi s’inscrit dans la pensée japonaise du wabi-sabi qui incite à célébrer la beauté de l’imperfection et de l’impermanence. Ce concept à la fois spirituel et esthétique fut une source d’inspiration pour la circassienne Inbal Ben Haim lorsqu’elle vécut l’épreuve d’une blessure à l’épaule. Elle dut tenir compte de cette fragilité. Cela influença son travail. Et le rendit plus intéressant. Dans sa dernière création, Pli, présentée aux Halles les 18 et 19 avril, elle explore les possibilités du papier, matière qui peut se transformer, se métamorphoser, passer d’un état de délicate fragilité à une très résistante solidité. Un corps, une feuille de papier et une scène.

Corps-papier-cirque.

 

 

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-papier-ciseaux

[2] Pour voir une illustration du Chifoumi : https://www.youtube.com/watch?v=rVQpAUS_V7I

[3] https://www.rtbf.be/article/le-kintsugi-lart-spirituel-qui-saffranchit-de-lexigence-de-perfection-10905990