Une danse en forêt / A forest gathering
par/by Martin Zicari
[FR]
Inspiré par les sujets soulevés dans les spectacles Tragédie (new edit) d'Olivier Dubois et Hermandad de Pietro Marullo, j'examine l'expérience fugace des fêtes et le sentiment éventuel de communauté que nous en retirons.
Dans "The Failed Collective", Chris Kraus affirme : "Il n'existe pas de communauté utopique ratée ; ou, si le collectif est une expérience de temps partagé, comment le temps peut-il échouer ?". Je n'ai cessé de relire cette phrase cette semaine, pour donner du sens à la fête en forêt de samedi dernier. Le temps partagé entre les arbres avait-il "accompli" quelque chose ? Les liens créés entre nous allaient-ils nous aider à traverser cette époque insupportable ?
Pendant que je dansais, j'ai vu que M. avait enlevé son pantalon et qu'il dansait nu. La hollandaise, qui était restée silencieuse jusqu'à ce moment-là, a sorti un petit sachet et m'a dit : "Je n'ai pas grand-chose, tu en veux ?" et le sachet a circulé. J'ai sucé mon doigt et avalé une bonne quantité, métallique, à action rapide. Les deux mini-spots que quelqu'un avait apportés illuminaient quelques arbres par en dessous et la nuit avalait tout le reste. La musique était le seul espace délimité. Je pouvais voir quelqu'un du groupe en dehors de cet espace, assis sur un tronc d'arbre tombé au loin, en conversation au téléphone. Je l'ai vu partir et revenir, et un peu de la lumière de son téléphone. Tout le reste, en dehors de la musique, n'était que forêt et nuit, et tout semblait vraiment très loin.
L'espace qui nous entourait devenait inconnu, tout comme mon esprit. Je n'avais qu'une seule certitude : j'étais avec des amis. Face à la pression croissante sur nos vies, nous nous sommes retirés dans un endroit isolé de la forêt pour camper une nuit. Le temps que dure la rencontre, c'était comme si le groupe était sous le charme, même si, dans quelques heures, notre vie en ville reprendrait son cours. Malgré la fugacité du moment, le charme survit dans notre mémoire, et chaque fois que nous nous rencontrerons dans les semaines suivantes, un simple sourire ou un mot, ramènera l'effet apaisant de la danse en forêt. Et peut-être, qui sait, nous essayerons même de revivre ce moment, en retournant dans la forêt, en reproduisant le rituel une fois de plus.
Près de moi, de nous, il y avait le corps dansant de M., de la fille hollandaise, et de vingt autres personnes que je ne connaissais pas et qui se déshabillaient lentement, chanson après chanson. La musique était reconnaissable, des morceaux du présent, le reste était complètement nouveau. Que faisions-nous là ? Qui nous avait invités ? Et comment ce rassemblement allait-il se terminer ? Tous morts ? Se dévorant les uns les autres ? Une orgie massive ? Tout le reste, à part l'espace de la musique, restait inconnu. Certains corps étaient deux, trois. Certains étaient des demi corps. Certains visages étaient d'une familiarité improbable, un ami du lycée que je n'avais pas vu depuis des lustres et qui vit maintenant à des milliers de kilomètres d'ici, le visage de ma sœur jumelle, mon visage apparaissant sur le visage d'autres personnes, se déplaçant et disparaissant avec mes mouvements, en un clin d'œil.
[EN]
Inspired by the topics raised by the upcoming shows Tragédie (new edit) by Olivier Dubois and Hermandad of Pietro Marullo, I examine the fleeting experience of parties and the potential feeling of community we get from them.
In “The Failed Collective” Chris Kraus argues: “There´s no such thing as a failed utopian community; or, if the collective is an experiment in shared time, how can time fail?” I kept reading that phrase over and over during the week to make sense of the forest party last Saturday. Had the shared time between the trees “achieved” something? Are the bonds created going to help us through these unbearable times?
While I was dancing, I saw that M. had taken off his pants and was dancing naked. The Dutch girl, who had been quiet until that moment, took out a small bag and told me “I don't have much, but do you want some?” and the bag circulated. I sucked my finger and dragged a good amount inside me, metallic and fast-acting. The two mini spotlights that someone had brought illuminated some of the trees from below and the night swallowed everything else. The music was the only demarcated space. I could see someone from the group outside that space, sitting on a fallen trunk in the distance, talking on the phone. I saw him go and I saw him come back, a bit of the light from his phone. Everything else outside of the music was forest and night, and it all seemed really far away.
As the space around us became unknown, so did my mind. I had only one certainty; I was with friends. In the face of growing pressure on our lives, we decided to retire to a secluded area in the local forest to camp for one night. For the time the encounter lasts, it’s as though the group is under a spell, even if, in a few hours, our life in the city will go on. Notwithstanding the fleetingness of the moment, the spell cast survives in our memory, and each time we meet in the following weeks, a simple smile or a word, bring back the soothing effect of the forest dancing; and maybe, who knows, we will even try to relive the moment, returning to the forest, reproducing the ritual one more time.
Close to me, to us, was the dancing body of M., of the Dutch girl, and twenty other people I didn’t know who were now slowly getting naked, one song at a time. The music was recognizable, the songs of the present, the rest was completely new. What were we doing here? Who had invited us? And how was this gathering going to end? All dead? Eating each other? A massive orgy? Everything else apart from the space of the music remained unknown. Some bodies were two, three. Some were half bodies. Some faces were familiar in an impossible way, a friend from high school I hadn’t seen for ages who now lives thousands of kilometres from here, the face of my twin sister, my face popping up on other people faces, they shifted and vanished with my movements, in the blink of an eye.