David Lynch: cette inquiétante étrangeté du cinéma
Par Abdullah Karasu
Véritable ovni du cinéma américain, David Lynch demeure depuis bien longtemps sur la scène culturelle et cinématographique mondiale à travers des œuvres artistiques aussi variées (peintures, sculptures, photographies et films) que déroutantes. A l'occasion du spectacle Midnight Sun qui évoque subtilement des décors de ses films, nous avons décidé de nous pencher sur l'œuvre singulière de David Lynch.
Si nous devions classer les films du réalisateur, nous userions sans aucune exagération des mots tels que expérimental, onirique, abstrait voire encore absurde. David Lynch est bien un cinéaste qui se trouve à l'opposé des codes et des schémas hollywoodiens. Et même si il s'inspire souvent des grands classiques tels que Hitchcock, il le fait pour déconstruire les règles d'un cinéma conventionnel. Ses films invitent souvent les spectateurs à réfléchir sur le sens des images. En usant des codes narratifs et esthétiques du film noir (personnages complexes, éclairages expressionnistes, monde urbain, etc.) dans Mulholland Drive (2001), le réalisateur bouscule les genres en faisant un film-puzzle. Il donne également à travers ce film une place importante aux femmes qui ne sont pas montrées comme des faire-valoir.
Au-delà de la narration, l'esthétique du cinéaste américain est également propre à son univers. Comme on le sait, David Lynch avant d'être cinéaste était peintre. Plusieurs de ses créations ont notamment été exposées dans les galeries et musées. Donc aux origines de l'œuvre créative de Lynch, il y a la peinture. Et nous pouvons dire sans conteste que la matière et la composition picturale sont particulièrement visibles dans ses films. La Red Room dans Twin Peaks (1992), la scène de théâtre aux rideaux rouges et aux carrelages blancs et noirs, illustre bien l'univers pictural que le cinéaste cherche à créer. David Lynch affectionne aussi bien le contraste chromatique (bleu/rouge/blanc/noir) que les effets de lumière. Concernant la musique, David Lynch prend le soin de choisir l’ambiance sonore de ses films. On ne peut oublier la célèbre chanson de David Bowie I'm Deranged utilisée dans le générique de Lost Highway (1997), qui témoigne l'envie du cinéaste américain de nous emmener aux confins psychiques de l'être mais aussi aux limites du cinéma.
Au-delà du monde « lynchien » qui semble inquiétant, décalé et inclassable, il existe néanmoins des œuvres du cinéaste d'une incroyable humanité et plus accessibles pour le spectateur. Elephant Man (1980) est l'histoire tragique d'un être, Joseph Merrick, au visage difforme. Le réalisateur s'interroge ici sur la cruauté de l'homme et le regard qu'on porte sur l'étrange. Plus tard, il tournera A Straight Story (1999), film dans lequel il met en scène un vieil homme qui décide de traverser au volant d'un tracteur toute l'Amérique pour revoir son frère mourant.
Avec une large filmographie, David Lynch reste l'un des cinéastes les plus importants de notre temps. Souvent déconcertant et difficile à déchiffrer, son œuvre se penche sur l'inquiétante étrangeté et le mystère de ce monde pour nous faire découvrir au-delà des abysses la vérité qui sommeille en nous.