Maud Le Pladec : "Le Krump est une danse affranchie des codes"
Avignon, été 22, le spectacle Silent Legacy de Maud Le Pladec fait comme l'effet d'une "bombe aux avant-gardes de la danse". C'est avec cette image forte que Sylvia Botella parle de son expérience du spectacle et va à la rencontre de Maud Le Pladec pour un entretien passionnant, publié dans la revue en ligne toutelaculture.com. Dans l'extrait suivant, Maud Le Pladec parle de cet "héritage silencieux" qui donne son titre à sa dernière pièce, et de la rencontre entre une danse "affranchie des codes" - le Krump - et une danse "très blanche" - la Danse contemporaine.
« De quel héritage parle-t-on ? De quelle tradition de danse s’agit-il ? Comment se transmet-elle ? Quelle est sa communauté ? Quelle est sa sociologie ? Où prend-elle sa source ? Comment continue-t-elle de construire des corps ? Une histoire ? Dans Silent Legacy, nous expérimentons deux héritages, deux cultures chorégraphiques. D’un côté, il y a le Krump à travers le solo de Adeline Kerry Cruz. De l’autre, il y a la Danse contemporaine à travers le solo de Audrey Merilus. Même si j’ai été formée initialement à la danse Modern Jazz, je me suis véritablement construite à partir de la Danse contemporaine. C’est ma culture chorégraphique.
D’une certaine manière, le Krump et la Danse contemporaine sont relativement opposés. Alors que le Krump est une danse populaire née hors des radars dans les quartiers pauvres de Los Angeles dans les années 2000, la Danse contemporaine, c’est la danse de l’institution. Avec le recul, j’ai le sentiment que nous devons constamment rendre à l’histoire de la Danse contemporaine ce qu’elle nous a légué techniquement, historiquement. Par exemple, il faut danser à la manière des figures tutélaires telles que Trisha Brown ou Merce Cunningham – je les respecte infiniment. Il est nécessaire d’avoir acquis les positions élémentaires de la danse classique. A contrario, le Krump est une danse exutoire, affranchie des codes. Lorsque j’observe West en train de travailler avec Adeline Kerry Cruz, à l’exception de quelques pas très techniques, il ne lui montre absolument rien. Il l’encourage simplement à explorer ses émotions. Les gestes qui surgissent sont leurs corollaires. Le Krump prend forme à travers les émotions.
Pour moi, c’est l’essentiel : je ne montre jamais rien au préalable, je suis juste ce qui se passe sur le moment. J’invite les interprètes à travailler sur le vocabulaire qu’ils développent. À la fin, je le façonne. Ce qui signifie que je tords ou affirme tel ou tel code. Dans Silent Legacy, nous avons beaucoup joué des codes de In the Steps de Trisha Brown. Nous nous sommes beaucoup inspirés des suspensions. Mais toujours en les questionnant. Comment pouvons-nous aller en deçà ? Toujours du côté du combat. La posture de neutralité m’interroge dans la Danse contemporaine… le corps-objet… cette danse très « blanche »… qui, en creux, dit beaucoup de nos sociétés. Et qui, en définitive, laisse peu de place à notre humanité. En tout cas, c’est comme ça que je le perçois. Mais curieusement, la Danse contemporaine me fascine. Peut-être à cause de qu’elle dit de moi et de ce qui me relie au monde. Elle est dans ma chair. Comment est-ce que je la métabolise ? Comment est-ce que je la partage ? »
Maud Le Pladec dans "Silent Legacy, la bombe aux avant-gardes de la danse", un entretien mené par Sylvia Botella pour Toute La Culture. L'intégralité de cet entretien est à lire ici.
Une rencontre de bord de scène avec Maud Le Pladec et JR.MADDRIPP est prévue le vendredi 25 novembre après la représentation de Silent Legacy. Animation : Sylvia Botella. Durée : 30 minutes.