Les Halles de Schaerbeek
— Brussels —

Splash timer

JR.MADDRIPP : "Le KRUMP c’est de la passion à un très haut niveau"

Propos recueillis à Montréal (Canada) par Anaëlle Guillermont-Canale.

La danse KRUMP, c’est quoi ?

Si l’on sait que cette danse est née au cœur des ghettos noirs de Los Angeles dans un contexte socio-politique violent en 1999, on en sait moins sur l’engagement physique et émotionnel qu’elle exige. Elle est le symbole d’une émancipation par la danse et d’un besoin viscéral d’être entendu.e.s au-delà des mots. Et à danse sensible, récit sensible. C’est pourquoi, qui de mieux placé que JR.MADDRIPP, mentor de la jeune krumpeuse Adeline Kerry Cruz et chorégraphe associé - avec Maud Le Pladec - à la création de Silent Legacy pour en parler? C’est à Montréal, ville natale d’Adeline Kerry Cruz et ville d’adoption de JR.MADRRIPP que nous nous sommes rencontré·e·s.

 

Tu es originaire de Paris et tu as commencé le KRUMP en Europe. Comment as-tu connu cette danse ?

JR.MADDRIPP : A l’origine, il y a eu le documentaire Rize[1]. J’ai vu ce film à un tournant de ma vie… plutôt étrange. Je savais pas ce que j’allais faire, ni où je voulais aller. Larry (des Twins) m’a dit « VIENT, ON VA VOIR CE FILM ». On y est donc allés et en le voyant, j’ai réalisé que c’était ce que je voulais faire. C’était comme… vital. D’ailleurs dans ce film, il y a mon mentor – TightEyez -, il parle du KRUMP et de ses particularités. J’ai vu ça, je me suis dit « c’est pas possible, c’est vraiment fait pour moi ».

Comment as-tu fait pour rencontrer TightEyez ? C’est l’un des fondateurs américains du KRUMP (Los Angeles). Et toi, tu étais en banlieue parisienne.

JR.MADDRIPP : Il est venu en 2010, le jour de mon anniversaire, donner un workshop à la Juste Debout School à Paris. Dans le temps, on mettait beaucoup de vidéos sur YouTube, c’était la seule plateforme, il y avait pas Instagram et (encore moins) TikTok. Il avait vu des vidéos de moi avant de venir. Je suis allé le voir comme un fan boy, en parlant 0 gramme d’anglais et je lui ai dit « Ouais, j’aime le KRUMP! » en français avec mon accent ghetto. Il m’a appelé par mon prénom, c’est comme ça que j’ai su qu’il avait vu des vidéos de moi. On fait le workshop. Je retourne le voir à la fin et je lui dit « J’veux te battle. ». Il m’a fumé. Après la battle, il a dit qu’il aimait mon style. Que j’étais très mauvais, mais qu’il allait m’apprendre. Sa danse dans Rize, c’était déjà fou. Mais alors aujourd’hui… on a l’impression que la vidéo est truquée, accélérée. Il va à une vitesse humainement dingue.

C’est toujours ton mentor aujourd’hui ?

JR.MADDRIPP : Oui, c’est toujours mon mentor, il me forme encore. On est allés ensemble danser en Allemagne, en Russie, en Ukraine… J’ai déménagé à Montréal en 2013 mais je suis retourné en France en 2014, j’avais un contrat pour 4 mois de mai à septembre. Lui est venu en août, et comme il aime pas les hôtels, il m’a dit qu’il allait dormir chez moi. On s’est entrainés presque tous les jours pendant un mois, et c’est là qu’il m’a donné mon surnom : JR. (junior) MADDRIPP. Le Krump, ça fonctionne comme une famille. Lui c’est le père, moi je suis le junior. Il m’inspirait dans tout ce qu’il faisait. Et un jour, j’ai été booké pour un show à Vegas avec le cirque (JR MADDRIPP travaillait pour le Cirque du Soleil à cette époque). J’en ai profité pour aller m’entraîner avec lui à Vegas. Je l’ai emmené voir un spectacle du Cirque du Soleil et il m’a dit que c’est ce qu’il voulait faire maintenant. C’est la première fois qu’il m’a dit « ça m’inspire ce que tu fais ». J’ai compris à ce moment-là que la transmission venait de se faire dans l’autre sens. Mais bien-sûr, il continue à m’inspirer.

Mais c’est pas que lui, c’est pas juste moi, c’est nous tous ensemble dans le KRUMP.

Comment décrirais-tu le KRUMP ? Lors de mes recherches, le mot qui ressortait le plus pour décrire cette danse était la violence. Es-tu d’accord ?

JR.MADDRIPP : Pour moi le KRUMP c’est de la passion à un très haut niveau. Mais c’est surtout parce que c’est de l’expression en tant que telle. Ça veut dire que quand tu t’exprimes, ton visage a déjà une expression. Si je te parle et que je suis calme, mon visage va être neutre. Mais plus mon émotion va prendre en intensité (que ce soit de la joie, de la colère ou de la tristesse) mon visage va l’accompagner. La caractéristique « violente » du KRUMP, c’est pas à cause des mouvements, c’est plutôt à cause du visage qui exprime vraiment ce que l’on ressent. Adeline, c’est une enfant. Mais quand elle danse, chaque mouvement accompagne un certain visage. La manière dont tu vas le faire fait que ton expression va amplifier ton mouvement. Si tu fake ton émotion on ne ressentira pas la puissance. Mais si c’est toi qui te mets à nu en faisant ton art, tu atteins ce que j’appelle « passion à un très haut niveau ». Et c’est aussi pour ça qu’on décrit le KRUMP comme violent. Il exige beaucoup plus qu’une maitrise technique de son corps.

Comment expliques-tu que cette danse originaire de Los Angeles se soit propagée aussi rapidement sur d’autres territoires, voire continents ?

JR.MADDRIPP : David Lachapelle a poussé et créé un mouvement avec Rize. Le fait qu’il ait eu la démarche d’aller chercher les gens dans le ghetto, pour leur donner une voix, a fait que le KRUMP existe aujourd’hui. Chaque pays à son OG (pionnier). Il faut une personne pour lancer un mouvement, mais surtout deux. La première donne l’impulsion, la deuxième, celle qui rejoint, donne de l’ampleur. Ce film-là a engendré beaucoup de personnes à travers le monde qui en ont inspiré d’autres à leur tour. Puis il y a eu le film Stomp the yard dans lequel Chris Brown krump. Tout le monde s’est mis à copier le fameux mouvement de la bouteille cassée - il me montre ce mouvement, qui est iconique dans le KRUMP. Combien de fois je l’ai vu ce mouvement en battle… encore aujourd’hui je le vois.

Tu m'as dit qu'avant il fallait connaître quelqu’un pour apprendre le KRUMP. Aujourd'hui, certains studios de danse proposent des cours de KRUMP, ça s'est institutionnalisé. Pour toi, à quoi est dû cette rapide expansion ?

JR.MADDRIPP : C’est arrivé très vite mais les deux créateurs, d’ailleurs l’un plus que l’autre, TightEyez, s'est tué à la tâche pour faire connaitre cette danse. Il a fait des shows, enseigné, battu les meilleurs danseurs du monde (en Hip-Hop, Breakdance, Popping...), jusqu’à devenir une légende. Il danse depuis 1999 en all-style, danse tous styles confondus, et il n’a perdu que 3 battles en plus de 20 ans. Et d’ailleurs, il s’entraine toujours.

Enfin, peux-tu me dire quelques mots sur Silent Legacy ?

JR.MADDRIPP : Maud -Le Pladec- voulait comme un genre de legacy (héritage) : la construction de la déconstruction, qu’on soit ensemble dans le passage de danse. A travers la petite Adeline Kerry Cruz (8 ans), tu peux entrevoir la suite avec Audrey. Et, toujours à travers Adeline, tu peux voir que c’est elle qui a initié pour que Audrey y aille. Maud voulait quelque chose de pur, elle voulait voir Adeline « dans son habitat naturel » mais aussi, à son max. Le KRUMP, c’est beau quand c’est chorégraphié, mais quand c’est en freestyle, c’est pur. C’est ça le Silent Legacy. C’est le climax qui découle de cet héritage silencieux. Adeline – Audrey, des mouvements ressortant des deux, comme si elles s’étaient nourries pour construire quelque chose de nouveau.

Ainsi s’opère la transmission.

Une rencontre de bord de scène avec Maud Le Pladec et JR.MADDRIPP est prévue le vendredi 25 novembre après la représentation de Silent Legacy. Animation : Sylvia Botella. Durée : 30 minutes.

[1] Film documentaire de David LaChapelle (2005), sorti en France en 2006.